«Ça commence à couler», s’écrie avec joie André Pollender dans sa cabane à sucre près de Brigham, sur la Route des vins de Brome-Missisquoi, qu’il exploite avec son épouse Danielle Cardin et ses fils. À quatre ou cinq degrés, on commence à sentir le sucre qui monte, dit ce passionné de l’érable qui voue un respect sans réserve à la nature, comme le faisaient ses ancêtres.
L’érablière du Pic-bois est l’une des quelques cabanes à sucre qui se démarquent encore des cabanes hypercommerciales. Ici, pas d’autobus rangés à la queue leu leu. La nature ne le permettrait pas; les éra-bles, parfois centenaires, arrêteraient subitement de faire couler leur sève, précise André Pollender.
Année après année, c’est le même rituel qui s’organise, lequel nécessite un travail titanesque: taillage des branches mortes des érables, entretien des lignes et des tubulures, purge de la première eau.
Chez les Pollender, on a voulu arrêter le temps en exploitant une cabane à sucre de façon traditionnelle. Les arbres de leur érablière, achetée il y a plus de 15 ans, n’ont jamais été travaillés autrement que manuellement, à l’aide de chevaux.
Passionné d’écologie, André Pollender louange cette richesse naturelle que constitue le sirop d’érable, qui devrait, selon lui, faire partie du patrimoine des grands produits mondiaux. Dans cette optique, cet ancien ébéniste amoureux du bois et de la forêt s’emploie à faire reconnaître l’érable dans le monde et à parfaire ses connaissances en acériculture.
Un travail à l’ancienne
Il ne s’agit pas de passéisme ou de folklore, affirme André Pollender, mais bien de défendre des valeurs ancestrales. Pour cette raison, il a conservé les seaux traditionnels; il s’estime en effet capable d’entailler ses 1100 érables de façon artisanale, comme son grand-père le faisait jadis.
Sur les collines du Pic-bois, on peut deviner au loin les pistes de Bromont au soleil, le même qui réchauffe les troncs et le sol des érablières au printemps. Cette année, les quelques gouttes annonciatrices de la première coulée ont déjà fait leur apparition, en février.
Contrairement à nombre de producteurs acéricoles qui entaillent beaucoup d’érables, André Pollender continue à faire bouillir la sève de façon artisanale, au bois. Seules concessions au modernisme: la bouilloire toute neuve, en inox, et le tracteur, qui a remplacé récemment les chevaux d’attelage. L’acériculteur reçoit dans sa cabane de petits groupes de personnes qui vont y apprécier un authentique repas du temps des sucres.
Tout est fait sur place par Danielle Cardin. Ses fèves au lard sont parmi les meilleures jamais goûtées. Ses grands-pères et sa tarte respectent vraiment les recettes familiales. Sans parler de gastronomie, on aime ce qui est préparé ici, avec amour et conviction.
André Pollender a su au fil du temps tisser des liens particuliers avec les chefs des plus grands restaurants, en harmonie avec les produits de l’érable. Tant au Québec qu’à l’étranger, des chefs reconnus utilisent son vinaigre d’érable dans leur cuisine, un vinaigre aromatique et subtil qui peut se comparer à un vinaigre balsamique et qui ajoute un petit quelque chose à l’assaisonnement.
M. Pollender est un puriste, un irréductible Gaulois de l’érable. Une grande fierté l’anime quand il fait visiter les lieux, où il a construit des sentiers pédestres pour les visiteurs. C’est un ambassadeur pour sa région, qui sait à sa façon mettre en valeur les Cantons-de-l’Est et dont les autorités touristiques devraient s’inspirer.
Comme pour bien des Québécois, le temps des sucres est attendu dans la famille Pollender. Pas juste pour le cérémonial, assure-t-il, mais aussi parce que ce moment correspond au réveil de la nature. La neige s’évapore soudainement, on écoute l’eau qui s’écoule des toits, les ruisseaux qui s’animent, et la sève des érables se transforme en sirop, puis en sucre.
Malheureusement, cette tradition a pris des proportions commerciales trop importantes au Québec. On paye cher pour un certain folklore artificiel qui ne rime en rien avec le travail des producteurs, qui se compare aisément à celui des agriculteurs ou des artisans soucieux de leur métier.
De plus, les cabanes commerciales trompent aussi le goût. On n’y sert pas toujours du vrai sirop d’érable et la nourriture offerte s’apparente le plus souvent à celle d’une cantine de second ordre, avec des produits surgelés réchauffés plutôt que des bons plats cuisinés. Ce n’est pas le cas à la Cabane du Pic-bois, où la nourriture est très bonne et où on met en valeur les vins issus de la région. Nous sommes sur la Route des vins et il est facile pour les visiteurs d’y acheter des produits.
Depuis deux ou trois jours, les érables du Pic-bois tentent une percée. Le goutte à goutte a commencé et annonce déjà le printemps. Les pics-bois sont attendus; ils ne sauraient tarder car leur cabane, elle, est déjà prête.
Un texte de Philippe Mollé